Un retour vers la Lune avant les 50 ans d’Apollo 11 ?
La société privée SpaceX a annoncé
qu’elle enverrait 2 touristes autour de la Lune en 2018. De son côté, la
NASA étudie la possibilité de transformer le vol d’essai circumlunaire
de sa capsule Orion en mission habitée pour la même année.
SpaceX oublie Mars pour la Lune ?
Rappelons que lorsque Elon Musk créa SpaceX en 2002 il s’attira surtout des quolibets. Et la situation ne s’arrangea pas quand les 3 premiers vols de son lanceur Falcon 1 se soldèrent par des échecs. Mais l’entrepreneur venu d’Afrique du Sud qui fit fortune avec le système de paiement PayPal sur le web n’est pas homme à se laisser abattre par des difficultés. On pourrait même avancer qu’elles le stimulent…Aujourd’hui, SpaceX exploite le lanceur Falcon 9 (bien plus puissant que le 1) qui envoie vers la Station Spatiale Internationale une capsule cargo automatique Dragon dans le cadre d’un contrat avec la NASA. La firme privée pèse de plus en plus sur le marché des lancements, forçant même l’Europe à réagir en mettant en chantier Ariane 6 afin de succéder à Ariane 5 trop cher face aux tarifs du nouveau venu. On le sait, Elon Musk rêve surtout de vols habités vers la planète rouge et il n’avait pas hésité à présenter en septembre 2016 un engin capable de transporter 100 personnes vers Mars. Là aussi, les quolibets n’ont pas manqué. Toutefois, il s’agissait surtout pour Musk de positionner SpaceX comme prestataire capable d’innovation dans la logique du Journey to Mars de la NASA.
Avec son annonce d’une mission visant à envoyer 2 touristes autour de la Lune avec le Crew Dragon (version habitée du Dragon) l’entrepreneur oublie-t-il son objectif martien ? Pas forcément. La Lune est souvent présentée comme une étape technique idéale pour s’entraîner avant le voyage plus complexe qui nous amènera vers la quatrième planète. De plus, les réalités budgétaires actuelles font que notre satellite naturel reste un objectif bien plus accessible. La NASA le sait bien et c’est pourquoi son Journey to Mars commence par 2 vols de son futur lanceur lourd SLS (Space Launch System) avec une capsule Orion vers… la Lune, le premier en automatique et le deuxième habité. Or cela pourrait changer !
La Chine, la NASA et le privé visent la Lune
L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche a déjà secoué le monde spatial américain. Si aucune décision n’a encore été officiellement prise par le 45ème président des États-Unis, certains de ses conseillers en matière astronautique ont exprimé un intérêt pour un retour habité vers la Lune. Une rumeur persistante veut qu’avant son installation à Washington, DC le milliardaire ait reçu dans sa tour à New York un historien du spatial afin de débattre de la mobilisation du pays lors d’Apollo. Du coup, il n’y a rien de vraiment étonnant à ce que la NASA ait annoncé le 24 février étudier la faisabilité de faire plus rapidement un vol habité autour de la Lune. Au départ, le vol dit Exploration Mission-1 (EM-1) devait voir un Orion (avec un module de service de l’Agence Spatiale Européenne) accomplir le voyage en automatique. Désormais, EM-1 se ferait avec un équipage. La date envisagée ? Fin 2018 ! En cas de délai supplémentaire pour bien préparer cette nouvelle orientation, ce qui est fortement envisagé par la NASA elle-même, qui sait si on ne visera pas alors 2019, l’année des 50 ans d’Apollo 11 ?Et comme par hasard, Elon Musk, qui au passage est au nombre des chefs d’entreprise qui participent à un panel consultatif de Donald Trump, déclare quelques jours plus tard le 27 février que SpaceX peut accomplir un vol circumlunaire ! Une fois de plus, il présente sa société comme un partenaire capable de réaliser les objectifs spatiaux américains selon une logique de partenariat public-privé et sous-entendu pour un budget moindre.
Privatiser une logique de desserte lunaire ? Elon Musk n’irait-il pas trop vite ? Pas vraiment puisque la NASA, avec son programme Lunar CATALYST (Lunar Cargo Transportation and Landing by Soft Touchdown), soutient depuis 2013 des sociétés qui travaillent sur des solutions de cargos automatiques vers notre satellite naturel. De même son initiative NextSTEP (Next Space Technologies for Exploration Partnerships) finance des études de modules d’habitation cislunaires, autrement dit des petites stations sur orbite autour de la Lune (dans la logique de préparer les technologies pour Mars). On notera que l’industriel européen Thales Alenia Space (branche Italie) est dans la boucle via son partenaire Orbital ATK avec une version lunaire du cargo ISS Cygnus.
De plus, la NASA et SpaceX ne sont pas les seuls à viser la Lune. Ainsi, le Google Lunar XPrize récompensera de 20 millions de dollars la première mission automatique privée sur notre satellite naturel (date limite de décollage : fin 2017). L’Agence Spatiale Européenne (ESA) met en avant le projet de Moon Village porté par son directeur général Jan Woerner qui souhaite ainsi coordonner l’exploration lunaire robotique puis habitée.
Bien évidemment, l’autre joueur de grande importance est la Chine. Elle a déjà envoyé avec succès 2 sondes autour de la Lune (Chang’e-1 en 2007 et Chang’e-2 en 2010), posé un atterrisseur avec un rover (Chang’e-3 en 2013) et accomplit une répétition partielle de retour d’échantillons (Chang’e-4-T1 en 2014). 2017 devrait être l’année de la véritable mission de retour d’échantillons prélevés à la surface de la Lune. Ce programme robotique ne doit cependant pas cacher l’éventualité d’un vol habité chinois autour de notre satellite naturel et plus tard une exploration à la surface.
Le vol lunaire de SpaceX est-il crédible ?
En bon commercial, Elon Musk souhaite donc surtout occuper un marché potentiel qui pourrait s’avérer juteux alors que le cinquantième anniversaire d’Apollo 11 se profile pour 2019.Techniquement, la mission proposée (avec un retour libre, ce qui facilite le profil de vol puisque l’engin suit une trajectoire qui le ramène vers la Terre sans la nécessité d’une délicate manœuvre de propulsion) est à portée de SpaceX. Il lui faut en revanche une nouvelle version plus puissante de son lanceur, le Falcon Heavy (qui réunit 3 étages Falcon 9 côte à côte au décollage), qui n’a pas encore volé et un vaisseau habité. Ce dernier sera le Crew Dragon. Lui aussi n’a pas encore volé mais la société le développe depuis plusieurs années puisqu’elle doit l’utiliser pour transporter les astronautes de la NASA vers la Station Spatiale Internationale fin 2017, début 2018. Un Crew Dragon a ainsi déjà accompli avec succès un test d’éjection du pas de tir en mai 2015, une procédure de sauvegarde d’un équipage en cas d’accident sur le lanceur encore au sol.
Le Falcon Heavy de son côté voit son vol inaugural prévu pour l’été prochain. Ce calendrier, que beaucoup jugent optimiste, est en phase avec la mission fin 2018 des 2 touristes dont l’identité n’est pas précisée et qui auraient déjà versé d’importantes sommes d’argent. D’autres s’étonnent qu’on ose envoyer deux touristes seuls vers la Lune. La chose apparaît en effet pour le moins risquée. Le communiqué de presse de SpaceX évoque en effet les deux passagers, mais n’affirme pas non plus qu’ils seront les seuls à bord de Crew Dragon… La possibilité de leur adjoindre un professionnel reste ouverte.
En fait, le plus compliqué n’est pas tant la capacité technique, mais l’échéance de 2018 étant donné les étapes cruciales à franchir dont de toujours délicats premiers vols. Ce ne serait toutefois pas la première fois qu’Elon Musk se montre (très) optimiste côté calendrier… Notons enfin que 2018 ou même 2019 sont également des années estimées peu réalistes par certains experts pour l’idée de la NASA de faire d’EM-1 un vol habité au regard du développement du SLS. Visiblement, pour le moment, il s’agit surtout d’occuper le terrain et de se déclarer prêt pour la Lune !